Airbus, une décennie après les turbulences de l’A380, un redécollage réussi ?
L’année 2016 aura été faste pour Airbus, non seulement les objectifs de livraisons d’appareils ont été dépassés (688 contre un objectif initial de 670) mais la direction d’Airbus a également annoncé un carnet de commandes record s’élevant à plus de 6.874 avions au 31 décembre 2016. Si la concurrence avec Boeing fait toujours rage, Airbus ne faiblit pas maintenant une part de marché sur les moyen courriers de plus de 60% et prévoyant plus de 700 livraisons pour cette année. Ce succès semble ainsi confirmer la réussite d’une stratégie de réorganisation structurelle et de mutations technologiques que la crise de 2006 avait rendue d’autant plus nécessaire. Pour autant, on ne saurait ignorer derrière ce voile d’optimisme des difficultés persistantes aussi bien dans la coordination que dans la branche militaire du groupe.
Airbus, une success-story au parcours accidenté
Si Airbus est présenté ad libitum comme le modèle d’une success-story européenne linéaire, l’argument semble pourtant plus relever d’un téléologisme triomphant plutôt que d’une analyse historique. Le projet de coopération européenne sur le terrain aéronautique émerge au milieu des années 1960 avec le rapprochement du Francais Sud-Aviation et de l’anglais BAC, rapprochement qui donnera vie au Concorde. Il faudra néanmoins attendre 1967 pour que ce balbutiement de cooperation europeenne aille plus loin. Il s’organise autour de la construction d’un biréacteur moyen courrier de 300 passagers grâce à la volonté d’acteurs politiques et industriels plurinationaux. En 1969, un nouveau pas est franchi avec l’A300 fruit d’une division des tâches européenne. La France réalisant notamment le cockpit et les commandes de vol alors que la voilure est anglaise et le fuselage ainsi que l’empennage allemands.
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Devant ce succès aéronautique européen, les spéculations autour d’un projet d’integration européenne vont bon train. Ce projet reste néanmoins prudent : si un consortium est créé en 1970, il adopte le statut juridique peu contraignant d’un GIE permettant aux différentes entreprises de conserver personnalité et autonomie. Devant le géant Boeing captant plus de 90% du marché de vente des avions de lignes, la GIE avance à petit pas profitant des commandes de Eastern Airlines en 1978 et grappillant le monopole de Boeing jusqu’à obtenir 30% du marché en 1995. Ce rattrapage sur Boeing est néanmoins entravé par l’éclatement d’un tel consortium contraignant à des décisions par consensus et à l’absence de partage d’informations. D’où la pression des gouvernements actionnaires pour plus d’intégration, souhait qui se réalise en Juillet 1999 avec la création d’EADS et le début du projet pharaonique de l’A380 destine à devenir à terme le plus important gros-porteur long courrier.
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2006: la crise de croissance
C’est paradoxalement ce même A380 qui sera à la source de la crise de 2006 non pas dans sa conception tant l’avion est technologiquement supérieur en tous points à ses concurrents mais dans sa fabrication cristallisant les problèmes persistants d’EADS dans la coordination des entreprises plurinationales mises à contribution. La crise devient vite politique avec l’intervention en particulier de l’Allemagne et la France. Mais le danger est réel. Si les annulations de commande ne font pas école parmi les compagnies aériennes, la valeur EADS sur les marchés financiers s’effondre et c’est le facteur crucial de la confiance qui est en jeu. Ces difficultés de coordination s’ajoutent à une gouvernance trop contraignante imposant une stricte égalité dans la représentation francaise et allemande. C’est finalement à une restructuration de gouvernance qu’on assiste donnant les clés du groupe à Louis Gallois qui se charge d’appliquer des réformes ambitieuses. Ces réformes se poursuivent sous l’ère Enders qui prend la tête du groupe en 2012 et accélère le processus de recentrage/externalisation et s’inscrit également dans la continuité de la politique de réduction de coûts de sous-traitance (initiée dès 1995 avec le CAP 2001 et poursuivie avec le Plan Power 8).
Affaires financières et déceptions militaires, les ombres au tableau d’Airbus
Quelques ombres noircissent néanmoins ce tableau plutôt positif de reconfigurations réussies face aux défis structurels et conjoncturels. D’abord le niveau record atteint par le carnet de commandes d’Airbus ne doit pas masquer la chute de plus de 63% de son bénéfice net en 2016, chute qui s’explique avant tout par le désastre de l’A400M, véritable “avion-boulet”. Cet avion de transport militaire, qui devait devenir l’un des fleurons d’une défense européenne accuse de trois années de retard dans sa livraison à plusieurs pays européens dus à des problèmes aussi bien dans la “supply chain”que dans la conception du moteur. Le crash d’un A400M à Séville en Juillet 2015 ainsi que la panne moteur d’un autre spécimen cloué au sol et bloquant temporairement la ministre allemande de la défense en déplacement en Lituanie début février n’ont pas arrangé les choses.
Le groupe a également vu ses vieux démons revenir à la charge. Connu pour des affaires financières douteuses aussi bien l’Affaire Lagardère en 2006 que le parachute doré de l’un de ses anciens dirigeants Noëlle Forgeard qui aurait été obtenu sous la pression du gouvernement français, Airbus a dû se fendre d’un communiqué de presse devant l’ouverture en mars dernier par le Parquet National Financier d’une enquête pour soupçon de fraude fiscale en coordination avec la Serious Fraud Office britannique. Quelques points noirs qui noircissent un tableau pourtant optimiste devant les perspectives futures florissantes du groupe aéronautique.